The Artist
Muet. Noir et blanc. Muet et en noir et blanc. A l’ancienne. A l’ancienne mais en numérique : image et son numériques. Son numérique pour un film muet ? Oui, et la bande son est magnifique, et nous donne une musique splendide. Et pertinente : muet ne veut pas dire sans expression, et la musique de Ludovic Bource est parfaite, elle agit comme un exhausteur de gout : l’action, les émotions, les rires, les larmes, les joies, les déceptions, les désespoirs, le film prend la parole par la musique, la musique lui donne sa voix. Il ne s’agit pas d’un film muet, bien au contraire, il est sonore, merveilleusement sonore, il est seulement sans parole.
Sans parole mais pas sans histoire, une belle histoire simple : les trajectoires croisées d’une actrice et d’un acteur de cinéma, elle inconnue, figurante du muet, lui the Artist, star du muet. La foudre s’abat sur eux. Deux fois. Premier coup de foudre, l’amour : sur un plateau de tournage, où la même scène répétée, refaite, retournée encore et encore les jettent dans les bras l’un de l’autre, la séduction, le charme opèrent et les cœurs s’accordent. Deuxième coup de foudre, la révolution sonore, le bouleversement technologique : le cinéma parle, le cinéma donne de la voix à ses artisans, ses artistes, ses acteurs et ses actrices. Malheureusement, quand la star se refuse à la nouveauté, la petite inconnue devenue un second rôle reconnu s’y jette sans retenue. La star ne l’est plus, la figurante le devient. Destins croisés. Déchéance brutale et ascension fulgurante. Désespoir et euphorie.
Cette histoire est banale pour l’époque à laquelle elle est située, à la fin des années 1920 aux Etats Unis. Nombres d’acteurs et actrices ont subitement disparu des écrans lors de la transition du muet vers le parlant, même si quelques uns l’ont réussie. Mais pour nous, spectateurs du vingt et unième siècle, elle n’est pas banale : film muet et noir et blanc à l’heure de la 3D et des FX plus que spéciaux. Mais la magie opère, la grâce traverse ce film et habite ses acteurs : Jean Dujardin, parfait, fait pour ce rôle autant que ce rôle paraît fait pour lui – et effectivement il a été écrit pour lui, porte et gagne le pari du muet dans son jeu et la mobilité de son visage ; ce qui avec Brice ou Hubert (Bonisseur de la Bath) passait pour une capacité naturelle simplement exploitée et même amplifiée, est ici un vrai talent travaillé à la perfection pour n’en donner que la juste mesure et le seulement nécessaire, sans forcer le trait ni tomber dans la copie voire la caricature de ses illustres anciens du cinéma muet d’antan. Une vraie réussite justement récompensée sur la Croisette. Si Le bruit des glaçons ou Contre-enquête avaient déjà montré que JD n’est pas réductible à un bon acteur de comédie, The Artist le consacre immense comédien. Et Bérénice Béjo est à l’unisson, pimpante, souriante, légère et lumineuse, elle irradie et éclaire le film et son personnage de simplicité et de pudeur : joie simple de l’ascension vers la gloire et l’argent, pudeur et retenue dans ses sentiments et face à l’orgueil qui empêche the artist de franchir le cap de la modernité et d’accepter l’aide de quiconque. Mention spéciale au troisième rôle principal, le chien Uggy, le complice de the artist, la mascotte du film, récompensé lui aussi à Cannes.