Hier après midi, de retour du travail, j'ai emprunté une rue que j'emprunte tous les jours. Une rue dans laquelle il y a une école (oups, j'm'a gouré), un groupe scolaire, avec maternelle et primaire. Et pour mon plus grand malheur, j'y suis passé à l'heure de la sortie des classes – il m'est déjà arrivé d'y passer le matin à la rentrée des classes, c'est la même chose : c'est le bordel. À croire qu'une grande majorité des parents est frappée d'incapacité fonctionnelle : y'a des voitures garées partout, et surtout en double file. Dans une rue qui ne compte que deux voies, pas très larges de plus. Et pourtant, quelle ne fut pas ma surprise, bloqué derrière une voiture posée là – j'écris posée, car en plein milieu de la voie sans même se serrer un peu sur la droite pour gêner un peu moins, ça, c'est posée comme une merde – quelle ne fut pas ma surprise disais-je, de voir une maman arriver avec deux mouflets dont elle portait les cartables, en plus d’un troisième (gamin, pas cartable) qui paraissait pourtant suffisamment âgé pour se déplacer par ses propres moyens. Sur ses deux jambes, les bras chargés, croulant sous la charge comme une ânesse sous son bât, dont elle m'a prouvé qu'elle a la courtoisie et par là même, probablement le QI. Pas handicapée du tout pour le coup ! Ni pressée de débloquer la rue en bougeant un peu plus vite son tas de ferraille. Etonnée et du coup froissée que je manifeste l’ombre du commencement du mécontentement légitime partagé par la dizaine d’automobilistes s’impatientant derrière moi. La conne. Donc en fait, ce qui les fait chier, ces parents faignants, c'est de marcher cinquante ou cent mètres pour aller chercher leurs gosses à l'école. Si c'est si dur et fatiguant d'aller les chercher à l'école, fallait pas les faire ces gosses. Et il faut croire, par un raccourci que je n'hésite pas à prendre, que pour se venger de se faire chier, y'a pas mieux que de faire chier les autres. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne raison. Je pense que ces parents sont profondément individualistes et sans-gêne, et pas qu'eux d'ailleurs. Passer devant la mairie de ma ville un samedi matin à dix heures tient de la course d'obstacle et du slalom, pour la même raison : marcher ce n’est pas forcément le plus pénible ; par contre il faut se garer, ça c'est super chiant, même si la place libre est juste là, à quinze mètres, il faut faire un créneau, p’tain c’est dur, et quelle perte de temps tout ça... Il y a bien un parking à deux cents mètre, mais c’est loin. Alors que se poser comme une merde n'importe comment en se foutant, et probablement en n'ayant pas même conscience, de gêner les autres, c'est tellement plus facile et confortable.

Y-a-t-il une solution à ce problème de savoir vivre et de courtoisie ? Bien sûr : le drive-in !

École drive-in : t'arrives à l'école, tu fais la queue, tu t'arrêtes devant le mauvais haut-parleur acheté en déstockage chez McDo, et tu passes ta commande :

shrrr, krasshhh, shrr, bonjoursshhrrr, je sshhrrrvous écoute
Famille Ducon Dutruc, deux maternelles et un primaire, un garçon, Dutruc1, petite section, et une fille, Dutruque2, moyenne section, et Dutruc3, CE2

(bon là maintenant, chère lectrice, cher lecteur, je t'ai enlevé les sshhrrr et les krasshhh un peu chiant à lire et à entendre)

Veuillez avancer porte quatre ; il faudra prévoir le goûter pour demain il est prévue une sortie au parc pour la classe de Dutruque2, et Dutruc1 a déchiré son pantalon pendant la récréation
- …

T'avances jusque là où on t'a dit, en râlant – un comble – contre le mou du genou de devant qui met une éternité et trois minutes à engueuler la maîtresse pas foutue de fermer la portière arrière correctement et sa marmaille mal élevée puis quitter finalement la porte quatre, et enfin, la chair de ta chair, les amours de ta vie, la prunelle de tes yeux, tes trois marmots se jettent sur la banquette arrière, ça va c'est pas la peine de les attacher, et tu peux quitter cette école de merde où les places devant les portes sont trop petites pour ton 4x4 – heureusement que ton pare-buffle protège ta calandre ! Mais putain que c'est chiant, on va réclamer un service de raccompagnage, de ramenage à la maison.

Mairie drive-in : la même chose, le haut parleur aussi pourri, service public oblige, la qualité du service tout aussi pourri, service public oblige, et tu râles quand même, trop lent, pas assez aimable, trop ceci, pas assez cela...

Le concept est extensible à presque tout : le médecin, la banque, le coiffeur, l'esthéticienne, le boucher, le boulanger, le supermarché, le restaurant (euh, c'est déjà fait j'crois...), le boulot, au bureau ou à la chaîne, la salle de sport (le comble : aller jusqu'à son home trainer ou son rameur en voiture, pour les sportifs flemmards), le bureau de tabac et de presse, le cinéma (déjà fait aussi…), la plage pendant l’été, la piste de ski pendant l’hiver, les toilettes sur les autoroutes, la prise de sang, le dentiste, la réunion parents/profs...

Après homo sapiens sapiens, le stade suivant de l’évolution sera peut être homo debilus automobilus (en parallèle avec une autre lignée : homo supporterus idiotis profondis). Ce qui est sûr, c’est la prévalence de l’individualisme et de l’agressivité dans les rapports interpersonnels ; courtoisie et bienséance sont maintenant d’un autre âge. Tant pis pour moi, je deviens vieux, pas vieux vraiment mais moins jeune et de moins en moins, et peut être plus en phase avec mon époque.

Sortie des écoles

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